Ryan McGinley
Il faut, comme
souvent, revenir aux éléments de base, pour essayer de comprendre
un peu. C’est la mort du toro qui est l’acte fondateur de la
corrida, la mort mise en scène, célébrée et glorieuse. Non pas
une mise à mort commandée par des arrière-pensées, la vengeance,
la peur ou la jouissance, mais une mort fatale qui peut puiser ses
fondements dans des rites antiques et mythologiques ou plus
prosaïquement dans les impératifs économiques de l’élevage de
bétail pour la boucherie. Une mort simple. Le poulet est abattu à
40 jours, la dinde à 100 jours ; le toro, lui, entre 48 et 72
mois.
Rembrandt
Le toro n’a pas
besoin de justifier sa mort : elle est inscrite dans son
être-toro, tout comme le torero n’a pas à justifier son acte de
metteur à mort : elle fait partie de son « être
torero ». Aucun torero ne devient matador pour se venger d’un
toro qui l’aurait renversé dans un chemin dans la campagne, ou
parce que le plaisir d’enfoncer une épée dans un corps de bovin
dépasse toutes ses lois morales…
Antoñete
Et puis il y a le
jour de la corrida, le public, l’arène, la rencontre,
l’affrontement de deux être vivants qui n’ont aucune raison pour
obéir à leur fonction théorique, mais qui sont soumis aux aléas
des sentiments, des humeurs, des passions. La corrida est une
succession d’événements, de mises en situation de rapports de
force qui constituent une dramaturgie, une histoire, une diégétique.
Les acteurs se distribuent les rôles du gentil, du traitre, de la
brute, de l’innocent, du menaçant, de la victime, organisant ainsi
une suite d’actes chronologiques en un scénario logique (le fameux
« post hoc, ergo propter hoc » des latins : après
ceci, donc à cause de ceci) dont l’aboutissement, la conclusion
acceptable et acceptée est la mort du toro. Il faut donc que cette
mort apparaisse, aux yeux des spectateurs, comme normale, logique,
bienvenue, et non saugrenue, anormale et révoltante.
Goya
Il est difficile
de concevoir une mise à mort autrement que comme une condamnation à
mort. Si celle-ci apparaît comme un fait sans lien avec ce qui
précède, comme un acte plaqué, infligé à une créature, sans
justification morale, cette mort devient dérangeante. Dans la
tauromachie ancienne, celle d’avant le grand virage de l’imposition
du caparaçon, cette justification était superflue : un coup
d’œil aux cadavres des chevaux ou le souvenir de leurs entrailles
pendantes montraient bien qu’on avait raison d’en finir avec
cette dangereuse bête. De nos jours, la relation entre le
comportement de l’animal et sa mise à mort est plus ambiguë. Ou
le toro a manifesté peu d’entrain au combat, s’est révélé
manso et nous l’estimons méprisable, donc condamnable ; ou le
toro s’est montré retors, dangereux, sournois et sa mort sera un
soulagement, pour le torero comme pour le public. Mais s’il
appartient à cette nouvelle race de bovins créés à force de
sélections génétiques, de programmes informatiques, s’il est
cette synthèse rêvée de l’animal et du carreton, qui charge mais
n’attaque pas, qui autorise toutes les fantaisies créatrices des
toreros, qui humilie, qui a de la classe, du recorrido, de la
noblesse etc. (le toro qui collabore : c’est ainsi qu’on le
définit), alors le moment de sa mise à mort provoque le malaise.
Qu’a-t-il fait de mal ? peut-on demander. Non seulement il n’a
mis personne en danger, mais il s’est comporté de la manière que
souhaitent tous les toreros et qui leur permet de faire étalage de
leur talent.
Encore si le
torero, à la manière d’un José Tomás, a su créer les
situations dangereuses que le toro ne souhaitait pas provoquer,
l’estocade paraîtra justifiée. Mais si l’on a affaire à l’un
des dompteurs de fauves domestiques qui savent si bien écraser les
pauvres velléités de révoltes de ces animaux, alors, la mort de la
bête perd sa signification. Notre préoccupation, lorsqu’arrive la
mise à mort, à nous, habitués des corridas ou aficionados, se
porte tellement sur la bonne exécution de cette suerte et sur son
efficacité, gage des récompenses, que nous en oublions (nous…
moi, tout au moins) qu’il s’agit de tuer, d’en finir avec la
vie d’une créature, et que cela ne va pas sans quelque gravité.
Les indultos proviennent essentiellement de ce malaise que crée une
mise à mort sans motif aux yeux d’un public qui réagit, à juste
titre, au nom de principes que les passionnés et les professionnels
mettent facilement de côté.
La composante
« danger » n’est pas facultative dans la corrida. Et
même s’il ne va pas aux courses de toros pour voir un homme jeté
en offrande aux cornes de la brute, le grand public, celui qui
remplit les gradins et les caisses des professionnels, celui qui crée
les grands engouements pour les toreros et permet les heures fastes
de la tauromachie, l’a bien compris et attend qu’on satisfasse
son désir de frisson et d’admirations et qu’on n’oublie pas
que la nature même de ce spectacle repose sur la présence en piste
d’un homme fragile et d’une bête sauvage, celle-ci essayant
d’encorner celui-là et ce dernier bernant l’autre avec élégance.
Interesante reflexionar sobre los fundamentos de la tauromaquia.
RépondreSupprimerMe quedo con dos ideas:
"La necesidad de que la muerte aparezca a los ojos de los espectadores como algo normal, lógico, bienvenido y no como absurda, anormal y repugnante."
"Esto sólo e produce en un contexto de peligro real, el que se deriva de la naturaleza misma del espectáculo que descansa sobre la presencia en la arena de un hombre frágil y de una fiera salvaje, ésta intentando cornear al primero y el segundo engañando al otro con elegancia."
Hasta aquí bien y comparto tu reivindicación de una mayor emoción y de una fiesta que muestre de forma más explícita el riesgo de enfrentarse a un toro.
Pero no acabo de ver claro tu punto de vista sobre los indultos. En un rito de muerte a veces el triunfo de la vida resulta indispensable.